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  • Démocritique

    Démocritique, gilets jaunes

    La démocratie comme soft-power de l’occident? Elle fut le levier des consciences populaires face aux pouvoirs dictatoriaux.

    Il fallait déjà changer le système et les démocraties enrichies pouvaient s’acheter la sympathie des peuples opprimés en même temps que leur vendre les moyens de se rebeller.

    Imposer des élections libres comme un modèle libératoire et en prime l’universaliser revenait à conquérir les nouveaux marchés en mettant à leur tête les intellectuels formés dans les meilleures universités du monde libre ou les enfants des bonnes familles déjà en place.

    En toute bonne foi ceux-ci entreprirent d’apaiser leur peuple en leur garantissant la liberté de choisir leurs dirigeants par des élections.

    Il fallait trouver des candidats: d’autres intellectuels formés aux mêmes sources affluaient, conseillés par de respectueux et éminents politiciens américains et européens, quand ce n’était pas surtout par des banquiers et autres pourvoyeurs de fonds pour la reconstruction.

    Les anciennes structures du pouvoir n’en demeuraient pas moins incontournables et il fallait composer avec elles: l’armée, les industries, le négoce, les princes locaux et les familles féodales...

    Une nouvelle démocratie est avant tout un nouveau marché ouvert et non régulé. Si le pays a des ressources naturelles, il devient vite l’objet d’un néocolonialisme visant à lui vendre des biens transformés au tarif élevé contre ses matières premières achetées à bas prix.

    Les exportations vers ces pays ont tôt fait de drainer leurs ressources tandis que le prix des matières exportées baisse inexorablement selon le critère essentiel de la croissance des profits.

    La démographie croissante ne sert pas à l’enrichissement du pays puisque l’extraction des ressources est confiée aux entreprises étrangères amies, l’armée locale servant à les protéger et réprimer les révoltes qui grondent.

    Au passage les élites démocratiques locales vieillissent, s’accrochent au pouvoir, deviennent plus cyniques et organisent à leur profit les élections libres suivantes.

    L’occident devient le souteneur de la nation anciennement colonisée, y ajoutant une prétendue noblesse de sentiments. Celle de lui donner la chance de sa protection plutôt que le risque de se retrouver sur le trottoir.

    Les démocraties occidentales sont au bout de leur enrichissement car les marchés sont saturés.

    Quelques nations résistent mais elles sont pointées du doigt et subissent les sanctions pour leur non- respect de la liberté du marché.

    Mais déjà, en occident même, les citoyens pressurés économiquement prennent la mesure de la stagnation puis du reflux de leur situation économique. Ils se vêtissent alors spontanément de la couleur cocue, celle qu’ils ressentent d’avoir été faite telle.

    Ils se révoltent et s’indignent mais ils resteront attachés à leurs privilèges émiétés lorsqu’ils verront se déliter dans les guerres civiles d’ailleurs la fin du rêve démocratique. Surtout lorsqu’ils comprendront que le marché, après avoir pillé le monde s’en prendra à ses propres enfants tel Saturne dévorant son enfant (Goya).

    Ils sont tout doucement préparés à accepter le sacrifice et, désabusés, acceptent pour leurs propres enfants la précarisation de l’emploi avec l’arrivée annoncée de la robotisation, l’inutilité de laisser son argent à la banque qu’il vaut mieux alors dépenser, l’extinction probable des pensions dans l’avenir.

    Dans les démocraties encore riches, où l’alternance des coalitions est vivace, où les autres niveaux de contrepouvoir gardent la liberté des « checks and balances », où les syndicats, la presse et l’opposition ont leur mot à dire et révéler les collusions, le népotisme et les commissions, on pourra espérer que le peuple bien informé aura le sentiment d’être représenté et de participer à la vie de la Cité.

    Mais s’il ne peut s’exprimer qu’une fois toutes les lunes, que les coalitions sont opaques et que son pouvoir d’achat se réduit, il ne faudra pas s’étonner de ses révoltes.

    Le nerf de cette guérilla est l’argent, son accaparement par les plus riches mettra le feu aux poudres et le modèle démocratique tombera en disgrâce.

    Le modèle suivant sera dictatorial éclairé et technocratique. Les algorithmes des bonnes pratiques s’allieront à la surveillance panoptique via le réseau de chaque individu dont les comportements déviant la courbe gaussienne sera aussitôt repéré et normalisé.

    Cette post-démocratie sera une néo-oligarchie assistée par IA où l’on pourra se passer d’opinions puisque les modèles prévisionnels seront optimisés pour le bien de tous.

    L’uniformisation des règles mondiales ne sera pas le produit du commerce et du libre-échange, qui garderont pourtant la couleur de la diversité comme alibi de tolérance et d’individualisation des besoins prescrits.

    Dans les pays appauvris, la démocratie sera pervertie et discréditée pour finalement être entièrement rejetée pour être remplacée par la techno-oligarchie des logiciels vendus par leurs concepteurs et mis en œuvre par la nouvelle intelligentsia qui aura appris à s’en servir chez leur producteur attitré.

    La mutation du monde passe par cette nouvelle phase et nous en mesurons aussi les avantages: plus d’incessantes guerres, plus de boucherie destructrice, mais les nouveaux conflits se feront dans le cyberespace, quasiment à l’insu du citoyen, pour redistribuer le pouvoir et les richesses au seul profit des nantis.

    De nouvelles hydres surgiront prétendant nous protéger, l’infantilisation de l’usager s’amplifiera, la distraction des foules augmentera, sa peur de manquer aussi stimulée par la paranoïa sécuritaire.

    En quoi modifier cette perspective? En unissant nos valeurs, en protégeant nos semblables contre la désillusion et la manipulation des sceptiques passifs et des cyniques actifs. L’Europe est une chance et une garantie de garder intactes ces valeurs d’humanisme et de partage.

    Pour qu’elle bénéficie au plus grand nombre il faut qu’elle fasse preuve de pédagogie et d’autocritique. Il faut qu’elle soit en mesure de transmettre ses idéaux à l’école, au citoyen et à ses propres fonctionnaires qui sont parfois les premiers, et c’est un comble, à en ignorer les enjeux.

    Si cette identification à la cause européenne, à son futur et à sa différence se conjugue, si la critique du système qui la fait dépérir est clairement et posément exprimée par ses dirigeants alors, non seulement les états qui la compose mais aussi chaque citoyen européen prendra la mesure de sa responsabilité de préserver et d’améliorer notre exception et notre histoire commune.

    L’Europe doit recréer une dynamique « bottom-up » où chacun se sentira concerné car l’Europe en tant qu’entité se manifestera à ses côtés pour le protéger, le motiver, améliorer son cadre de vie et lui donner le sentiment d’être un acteur à travers ses choix électoraux réellement démocratiques.

    Salim Kaiss