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  • Salon du Livre de Paris 2025 : sous le contrôle, une brèche

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    Les mots qu’on tente de discipliner. Et ceux qui échappent.

    Le pouvoir se loge toujours là où l’on ne l’attend pas. Et souvent, il s’habille de culture. Le Festival du Livre de Paris 2025, installé sous le très transparent Grand Palais Éphémère, prétend célébrer les livres, les idées, les auteurs. Mais cette vitrine de verre cache une mécanique plus sombre : celle de l’alignement silencieux des imaginaires, de la domestication du langage, de la neutralisation de la pensée critique.

    Derrière les stands bien ordonnés, les sourires bienveillants, se joue un autre théâtre : celui du contrôle des récits. Le contrôle, ici, ne dit jamais son nom. Il agit par concentration économique. Il agit par invitation ou éviction. Il agit par financement. Et surtout, par invisibilisation des voix dissidentes.

    La manifestation du 12 avril : un réveil nécessaire

    Le samedi 12 avril, des manifestants ont brisé l’enchantement. Le nom de Bolloré est revenu comme un cri. L’homme d’affaires devenu maître des récits, des chaînes de télé, des maisons d’édition, est aujourd’hui le symptôme d’un malaise plus vaste : celui d’une industrie culturelle qui confond pluralisme et vitrine, liberté et marketing, littérature et storytelling rentable.

    Les grandes maisons tombent comme des dominos. Gallimard, Fayard, Plon, Julliard… Tous désormais insérés dans des conglomérats. Et avec elles, le risque d’une pensée écrite en interne, formatée, prête-à-distribuer. Un soft power inversé : non plus pour porter la culture à l’extérieur, mais pour lisser l’intérieur.

    Et pourtant, une brèche : le 11 avril

    Dans ce contexte verrouillé, la rencontre du 11 avril au matin a fait figure d’accident heureux. Une faille. Une bulle. Une respiration.

    Sur scène, six auteurs. Trois Français. Trois Chinois. Une rencontre orchestrée par une maison d’édition indépendante, La Route de la Soie – Éditions, qui, à rebours des tendances, publie ce qui pense, ce qui dérange, ce qui ouvre. Une maison discrète, dirigée par Sonia Bressler, philosophe, ancienne reporter, femme qui préfère les actes aux selfies.

    Et ce jour-là, les actes ont parlé. Chaque auteur était mis en regard avec un autre, non pas dans une logique comparative, mais dans une logique de miroir critique.

    Arditti et Mai Jia : technocratie et cœur encodé

    Alexandre Arditti, avec L’Assassinat de Mark Zuckerberg, explore la mise à mort symbolique d’un système qui a privatisé la communication mondiale. Son polar est politique. Il dissèque la violence du virtuel, la perte d’intimité, la dépossession algorithmique.

    Face à lui, Mai Jia, ancien agent du renseignement chinois. Dans Dans l’enfer des codes, il confronte la cryptographie à ce que nous n’osons plus nommer : le langage du cœur. Chez lui, le chiffre devient fable. Le silence devient symptôme. La sécurité devient prison.

    Deux hommes. Deux systèmes. Une même question : comment réapprendre à décoder l’humain dans un monde saturé de protocoles.

    Vissense et Liu Zhenyun : satire des machines et bureaucratie des affects

    Frédéric Vissense, dans Bioutifoul Kompany, met en scène une multinationale démente, où l’absurde managérial pousse à bout les individus. C’est Kafka à l’ère des open spaces. L’humain devient produit. Le logiciel devient juge.

    Liu Zhenyun, quant à lui, observe la Chine depuis ses marges. Il entend ce que l’État ne capte plus : le bruit des rues, les contradictions du quotidien, la tragédie dans l’ordinaire. Sa langue est tranchante. Il pratique une ironie sans mise en garde. Il donne à lire le pouvoir par ses fissures.

    Ici, le grotesque devient politique. L’humour, un scalpel. Les systèmes se regardent, se toisent, et tous deux révèlent une même obsession du contrôle.

    Quagebeur et Zhao Lihong : poésie, refuge ou résistance ?

    Sébastien Quagebeur, poète et romancier, rappelle une chose fondamentale :

    « La poésie est la langue première. »
    Celle qui précède les protocoles. Celle que le pouvoir ne peut réduire en bullet points.
    Face à lui, Zhao Lihong, poète majeur chinois, dont chaque livre est un contre-pouvoir discret.Métamorphose(s), Cheminements : l’écho des poètes : ses textes n’accusent pas, ils illuminent. Ils rappellent. Ils tiennent la ligne d’horizon.

    Deux écrivains qui refusent la brutalité, mais qui n’en sont pas moins critiques. Ils répondent par la langue, par le rythme, par une fidélité au monde que l’économie cherche à désarticuler.

    Éditer contre les flux

    Dans une époque où la concentration capitalistique formate jusqu’aux imaginaires, il reste des poches de résistance. La Route de la Soie – Éditions en fait partie. Elle ne joue pas la quantité. Elle joue la justesse. Elle publie lentement. Elle édite avec conviction. Elle crée des ponts — non pas diplomatiques, mais littéraires et humains.

    Sonia Bressler, sans se mettre en scène, agit. Elle relie. Elle lit. Elle construit. Elle publie des œuvres que d’autres refusent par frilosité ou par confort. Elle croit que l’édition n’est pas un business model. C’est un geste de société. Une ligne de front.

    La littérature comme zone d’insoumission

    Ce 11 avril, une chose est devenue claire : il existe encore des lieux où la littérature n’est pas soumise. Des lieux où elle pense. Où elle risque. Où elle dérange. Pas pour faire le spectacle, mais pour réveiller. Réparer. Résister.

    Et c’est cela, aujourd’hui, qu’il faut défendre. Non pas les salons, mais les brèches.
    Non pas les vitrines, mais les fissures.
    Non pas la transparence, mais la pensée.