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  • Salon du Livre de Paris 2025 : sous le contrôle, une brèche

    Editions, littérature, art, Frédéric Vissense, Alexandre Arditti, Mai Jia, Sébastien Quagebeur, Liu Zhenyun, Zhao Lihong, Paris, Festival du Livre, Salon des livres, Grand Palais, Bolloré, indépendance, culture

    Les mots qu’on tente de discipliner. Et ceux qui échappent.

    Le pouvoir se loge toujours là où l’on ne l’attend pas. Et souvent, il s’habille de culture. Le Festival du Livre de Paris 2025, installé sous le très transparent Grand Palais Éphémère, prétend célébrer les livres, les idées, les auteurs. Mais cette vitrine de verre cache une mécanique plus sombre : celle de l’alignement silencieux des imaginaires, de la domestication du langage, de la neutralisation de la pensée critique.

    Derrière les stands bien ordonnés, les sourires bienveillants, se joue un autre théâtre : celui du contrôle des récits. Le contrôle, ici, ne dit jamais son nom. Il agit par concentration économique. Il agit par invitation ou éviction. Il agit par financement. Et surtout, par invisibilisation des voix dissidentes.

    La manifestation du 12 avril : un réveil nécessaire

    Le samedi 12 avril, des manifestants ont brisé l’enchantement. Le nom de Bolloré est revenu comme un cri. L’homme d’affaires devenu maître des récits, des chaînes de télé, des maisons d’édition, est aujourd’hui le symptôme d’un malaise plus vaste : celui d’une industrie culturelle qui confond pluralisme et vitrine, liberté et marketing, littérature et storytelling rentable.

    Les grandes maisons tombent comme des dominos. Gallimard, Fayard, Plon, Julliard… Tous désormais insérés dans des conglomérats. Et avec elles, le risque d’une pensée écrite en interne, formatée, prête-à-distribuer. Un soft power inversé : non plus pour porter la culture à l’extérieur, mais pour lisser l’intérieur.

    Et pourtant, une brèche : le 11 avril

    Dans ce contexte verrouillé, la rencontre du 11 avril au matin a fait figure d’accident heureux. Une faille. Une bulle. Une respiration.

    Sur scène, six auteurs. Trois Français. Trois Chinois. Une rencontre orchestrée par une maison d’édition indépendante, La Route de la Soie – Éditions, qui, à rebours des tendances, publie ce qui pense, ce qui dérange, ce qui ouvre. Une maison discrète, dirigée par Sonia Bressler, philosophe, ancienne reporter, femme qui préfère les actes aux selfies.

    Et ce jour-là, les actes ont parlé. Chaque auteur était mis en regard avec un autre, non pas dans une logique comparative, mais dans une logique de miroir critique.

    Arditti et Mai Jia : technocratie et cœur encodé

    Alexandre Arditti, avec L’Assassinat de Mark Zuckerberg, explore la mise à mort symbolique d’un système qui a privatisé la communication mondiale. Son polar est politique. Il dissèque la violence du virtuel, la perte d’intimité, la dépossession algorithmique.

    Face à lui, Mai Jia, ancien agent du renseignement chinois. Dans Dans l’enfer des codes, il confronte la cryptographie à ce que nous n’osons plus nommer : le langage du cœur. Chez lui, le chiffre devient fable. Le silence devient symptôme. La sécurité devient prison.

    Deux hommes. Deux systèmes. Une même question : comment réapprendre à décoder l’humain dans un monde saturé de protocoles.

    Vissense et Liu Zhenyun : satire des machines et bureaucratie des affects

    Frédéric Vissense, dans Bioutifoul Kompany, met en scène une multinationale démente, où l’absurde managérial pousse à bout les individus. C’est Kafka à l’ère des open spaces. L’humain devient produit. Le logiciel devient juge.

    Liu Zhenyun, quant à lui, observe la Chine depuis ses marges. Il entend ce que l’État ne capte plus : le bruit des rues, les contradictions du quotidien, la tragédie dans l’ordinaire. Sa langue est tranchante. Il pratique une ironie sans mise en garde. Il donne à lire le pouvoir par ses fissures.

    Ici, le grotesque devient politique. L’humour, un scalpel. Les systèmes se regardent, se toisent, et tous deux révèlent une même obsession du contrôle.

    Quagebeur et Zhao Lihong : poésie, refuge ou résistance ?

    Sébastien Quagebeur, poète et romancier, rappelle une chose fondamentale :

    « La poésie est la langue première. »
    Celle qui précède les protocoles. Celle que le pouvoir ne peut réduire en bullet points.
    Face à lui, Zhao Lihong, poète majeur chinois, dont chaque livre est un contre-pouvoir discret.Métamorphose(s), Cheminements : l’écho des poètes : ses textes n’accusent pas, ils illuminent. Ils rappellent. Ils tiennent la ligne d’horizon.

    Deux écrivains qui refusent la brutalité, mais qui n’en sont pas moins critiques. Ils répondent par la langue, par le rythme, par une fidélité au monde que l’économie cherche à désarticuler.

    Éditer contre les flux

    Dans une époque où la concentration capitalistique formate jusqu’aux imaginaires, il reste des poches de résistance. La Route de la Soie – Éditions en fait partie. Elle ne joue pas la quantité. Elle joue la justesse. Elle publie lentement. Elle édite avec conviction. Elle crée des ponts — non pas diplomatiques, mais littéraires et humains.

    Sonia Bressler, sans se mettre en scène, agit. Elle relie. Elle lit. Elle construit. Elle publie des œuvres que d’autres refusent par frilosité ou par confort. Elle croit que l’édition n’est pas un business model. C’est un geste de société. Une ligne de front.

    La littérature comme zone d’insoumission

    Ce 11 avril, une chose est devenue claire : il existe encore des lieux où la littérature n’est pas soumise. Des lieux où elle pense. Où elle risque. Où elle dérange. Pas pour faire le spectacle, mais pour réveiller. Réparer. Résister.

    Et c’est cela, aujourd’hui, qu’il faut défendre. Non pas les salons, mais les brèches.
    Non pas les vitrines, mais les fissures.
    Non pas la transparence, mais la pensée.

  • "Tintamarre" de Laurent Benarrous : un vacarme contre les silences complices

    Tintamarre, Laurent Benarrous, vie, chute, récit, artLaurent Benarrous ne cherche pas à ménager son lecteur. Dans Tintamarre, il balance des vérités crues, des souvenirs d'enfance jetés comme des pavés dans la vitrine bien ordonnée de nos sociétés indifférentes. Sous ses airs de chronique d'une vie banale, le récit est une plongée sans filet dans les coulisses d'une violence ordinaire, sourde, celle qui se vit derrière les portes closes des HLM de la banlieue parisienne. On y croise la tendresse, oui, mais cabossée, prise dans l'étau d'une pauvreté sociale, culturelle, et affective.

    Le style, sec et sans fioritures, tranche avec la lourdeur des thèmes abordés. L'auteur use de l'humour noir comme d'un bouclier, une arme pour tenir à distance l'indicible. Dès les premières pages, la filiation avec L'Attrape-Coeur de Salinger est revendiquée, mais Laurent Benarrous s'engouffre dans un réalisme encore plus cru, une lucidité brutale. Pas de nostalgie doucereuse ici : l'enfance y est dépeinte comme un champ de bataille, où l'on survit plus qu'on ne grandit.

    Ce qui frappe, c'est la manière dont Tintamarre expose les mécanismes d'une société qui tolère, voire justifie, la violence domestique. Comment peut-on, en 2024 encore, détourner le regard face aux cris d'un enfant battu, aux larmes d'une mère brisée ? Laurent Benarrous ne livre pas de réponses mais force à la confrontation. Il met à nu la banalisation, cette acceptation résignée qui imprègne les institutions, les familles, les voisins. Ses mots claquent, dérangent, parce qu'ils racontent ce qu'on préfère ignorer.

    Mais derrière ce vacarme d'injustices et de silences complices, il y a aussi une voix qui refuse de se taire. Celle de l'auteur, enfant devenu homme, qui se réapproprie son histoire pour ne plus être l'objet mais le sujet. Écrire devient un acte politique, un geste de résistance. Tintamarre n'est pas seulement un livre, c'est une gifle, un rappel que derrière les murs gris des cités, des vies s'effondrent dans l'indifférence générale.

    Il serait facile de réduire ce texte à un récit de misère. Ce serait passer à côté de sa force subversive. Car Laurent Benarrous, s'il décrit la chute, scrute aussi les tentatives de s'en relever. Ce n'est pas un chant d'espoir facile, mais la preuve qu'arracher sa voix au silence est déjà, en soi, une victoire.

    "Tintamarre" de Laurent Benarrous - La Route de la Soie - Éditions, avril 2024.

  • Le Cri de la Perse : un chant de révolte et d'exil

    Tahoura Tabatabaï-Vergnet, cri, exil, Perse, Iran, femmes, vie liberté, art, Sur le blog Les Infiltrés, nous nous engageons à décrypter les œuvres littéraires qui, par leur profondeur et leur engagement, interrogent les enjeux politiques et sociétaux. Le Cri de la Perse, recueil poétique de Tahoura Tabatabaï-Vergnet, publié par La Route de la Soie - Éditions, s'inscrit dans cette lignée en offrant une plongée bouleversante dans l'âme d'une nation en souffrance.

    Dès les premières lignes, l'autrice nous invite à ressentir, non seulement à lire. Sa poésie, empreinte de nostalgie et de colère, devient un outil de résistance face à l'oppression. À travers des images d'une richesse éclatante, elle raconte la Perse, aujourd'hui l'Iran, berceau d'une civilisation florissante, désormais pris dans les griffes de régimes autoritaires.

    Un cri universel depuis la valise de l’exil

    Au cœur du recueil se trouve le thème de l’exil. Dans La valise de l’exil, Tabatabaï-Vergnet questionne les choix impossibles qu’impose le départ forcé. Que peut-on emporter quand on laisse derrière soi des souvenirs, une langue, une identité ? Ce vide que tente de combler l’exilé devient un espace de poésie. La plume devient refuge, outil de mémoire et d’affirmation.

    L’autrice ne s’arrête pas au témoignage personnel. Elle lie son histoire à celle des femmes iraniennes, devenues des symboles de courage et de lutte. Dans La Lionne de Perse, elle célèbre ces héroïnes qui, cheveux au vent, défient les oppresseurs. Une Marianne persane se dresse dans ces vers, écho direct à la révolution des femmes en Iran, leurs chants et leurs actes bravaches illuminant un futur possible.

    La force politique du poème

    La poésie de Tahoura Tabatabaï-Vergnet est profondément politique. En cela, elle rejoint la tradition des poètes résistants, ceux qui utilisent les mots comme des armes. Dans Chers amis de la Perse, l’autrice interpelle la France et le monde, exigeant un réveil face à la répression en Iran. Le parallèle entre la Marianne française et les femmes perses donne aux luttes locales une dimension universelle.

    Ce cri transcende les frontières : il rappelle que l’injustice dans un pays rejaillit sur tous. Il questionne le silence complice des nations face aux violences subies par les opprimés, tout en offrant une main tendue pour reconstruire.

    Une poésie comme arme

    Si Le Cri de la Perse est une œuvre d’art, c’est aussi une œuvre d’impact. Il appelle à repenser notre rapport à l’autre, à l’exilé, et à la mémoire collective. Il place les femmes au centre des récits de résistance, non comme des figures secondaires, mais comme des actrices principales du changement.

    Ce recueil est une lecture nécessaire pour qui veut comprendre la puissance d’une poésie engagée. Tahoura Tabatabaï-Vergnet donne une voix à l’injustice et transforme les souffrances de l’exil en un appel universel pour la liberté.

    À lire pour ressentir, pour se questionner, et pour agir.