"Tintamarre" de Laurent Benarrous : un vacarme contre les silences complices
Laurent Benarrous ne cherche pas à ménager son lecteur. Dans Tintamarre, il balance des vérités crues, des souvenirs d'enfance jetés comme des pavés dans la vitrine bien ordonnée de nos sociétés indifférentes. Sous ses airs de chronique d'une vie banale, le récit est une plongée sans filet dans les coulisses d'une violence ordinaire, sourde, celle qui se vit derrière les portes closes des HLM de la banlieue parisienne. On y croise la tendresse, oui, mais cabossée, prise dans l'étau d'une pauvreté sociale, culturelle, et affective.
Le style, sec et sans fioritures, tranche avec la lourdeur des thèmes abordés. L'auteur use de l'humour noir comme d'un bouclier, une arme pour tenir à distance l'indicible. Dès les premières pages, la filiation avec L'Attrape-Coeur de Salinger est revendiquée, mais Laurent Benarrous s'engouffre dans un réalisme encore plus cru, une lucidité brutale. Pas de nostalgie doucereuse ici : l'enfance y est dépeinte comme un champ de bataille, où l'on survit plus qu'on ne grandit.
Ce qui frappe, c'est la manière dont Tintamarre expose les mécanismes d'une société qui tolère, voire justifie, la violence domestique. Comment peut-on, en 2024 encore, détourner le regard face aux cris d'un enfant battu, aux larmes d'une mère brisée ? Laurent Benarrous ne livre pas de réponses mais force à la confrontation. Il met à nu la banalisation, cette acceptation résignée qui imprègne les institutions, les familles, les voisins. Ses mots claquent, dérangent, parce qu'ils racontent ce qu'on préfère ignorer.
Mais derrière ce vacarme d'injustices et de silences complices, il y a aussi une voix qui refuse de se taire. Celle de l'auteur, enfant devenu homme, qui se réapproprie son histoire pour ne plus être l'objet mais le sujet. Écrire devient un acte politique, un geste de résistance. Tintamarre n'est pas seulement un livre, c'est une gifle, un rappel que derrière les murs gris des cités, des vies s'effondrent dans l'indifférence générale.
Il serait facile de réduire ce texte à un récit de misère. Ce serait passer à côté de sa force subversive. Car Laurent Benarrous, s'il décrit la chute, scrute aussi les tentatives de s'en relever. Ce n'est pas un chant d'espoir facile, mais la preuve qu'arracher sa voix au silence est déjà, en soi, une victoire.
"Tintamarre" de Laurent Benarrous - La Route de la Soie - Éditions, avril 2024.